La création du « lycée de jeunes filles » fut un acte de combat républicain, un geste d’audace, un défi et un pari gagné grâce à la volonté de personnalités convaincues, à l’excellence des professeurs et de leur directrice. Jusqu’en 1881, les lycées n’existaient que pour les garçons. La loi Camille Sée, en 1880, institue un enseignement secondaire pour les jeunes filles, avec des programmes spécifiques. Les républicains veulent soustraire les futures épouses et mères à l’influence cléricale et aussi former le jugement des jeunes filles par les lumières de la connaissance. Quelques personnalités, l’Inspecteur d’académie, le maire de Nantes Georges Colombel, ont voulu aller vite, porter un coup fatal à leurs ennemis du parti clérical.
La lettre ministérielle précisant les conditions de l’ouverture d’un lycée de jeunes filles est rédigée en août 1882 ; le lycée ouvre à Nantes en octobre 1882, avant même la signature de son traité constitutif par la ville et le ministère, en juillet 1883. La ville a acheté deux maisons bourgeoises avec jardin, rue Harrouys, l’Inspecteur d’académie fait hâter les travaux, convainc le recteur de Rennes de l’urgence de l’ouverture. Le succès est aussi spectaculaire qu’inattendu : Élisa Bordillon, directrice de l’école secondaire de jeunes filles, ouvre le lycée avec 100 élèves ; elles sont 120 en janvier 1883, 200 en 1886, 500 en 1907. La municipalité doit procéder à un agrandissement, incorporer d’autres maisons du quartier. Dès 1905, s’impose la nécessité de déménager, de construire des bâtiments incluant un internat. La municipalité dirigée par Gabriel Guist’hau (1908-1912) a récupéré, en vertu de la loi de 1905, les terrains et la chapelle, abandonnés par l’Externat des Enfants nantais, à l’angle des rues du Boccage et Bonne-Louise. Les vieux bâtiments sont rasés, les travaux de construction du lycée, avec une structure en béton, durent jusqu’en 1914. Pendant la guerre, ces bâtiments servent d’hôpital militaire : Jacques Vaché et André Breton s’y rencontrent en 1916. Les travaux reprennent de 1919 à 1932. En 1928, le « vieux lycée » de la rue Harrouys, abandonné, est transformé en école primaire. En 1932, le conseil municipal nomme le lycée « Gabriel Guist’hau », en hommage à l’ancien maire, décédé en 1931. Au début de la Deuxième Guerre mondiale, un professeur, Madeleine Bourguel, membre de l’Association des Françaises diplômées des Universités, prend l’initiative de mobiliser la grande majorité du personnel du lycée pour parrainer financièrement deux collègues polonaises réfugiées, Irma Kaufer, une israélite, et madame Bursztyn, geste rare puisque le pays entier ne connaît que douze parrainages de cette sorte.
A l’orée de ses cinquante ans, le lycée de jeunes filles est devenu une institution, fréquentée par les enfants de la bourgeoisie, comme tous les lycées de cette époque, même s’il existe des élèves boursières. Les familles apprécient la qualité de l’enseignement, la discipline, le dévouement des professeurs, qui forment des jeunes femmes accomplies, assez cultivées pour rester discrètes. L’insertion professionnelle n’est pas le but de l’enseignement, bien que les jeunes filles puissent préparer le même baccalauréat que les garçons depuis 1924, et les plus brillantes, les concours d’entrée aux écoles normales supérieures de Sèvres et Fontenay.
Le lycée est devenu mixte vers 1970, comme partout ; il a élargi son public, comme partout. Mais il demeure ce triangle de hauts murs, un espace que l’on peut fermer, pour le protéger. Il n’échappe pas aux agitations sociales, même s’il demeure un lieu où beaucoup d’élèves et de professeurs partagent civilité, goût du travail intellectuel, bonheur d’être là. La culture républicaine s’est adaptée en préservant l’essentiel.
Travail de mémoire:
Pendant la seconde guerre mondiale, le lycée Guist’hau reste ouvert. En 1940, une partie des bâtiments, l’aile gauche, en entrant dans le lycée, est occupée par l’armée allemande. L’autre, l’aile droite, conserve son fonctionnement habituel, ses salles de classes. Le lycée recevait alors des élèves de la maternelle au niveau terminale. Jusqu’à la 9e (actuel niveau CE2), les classes étaient mixtes. Au-delà, seules les jeunes filles étaient inscrites.
Ce lycée comptait dans ses murs des élèves juives, dont nous voulions retracer le parcours, pendant la période d’occupation.
Nous avons retrouvé 27 noms d’élèves juifs, dont nous avons relevé, plus ou moins précisément, l’itinéraire. Cinq ont été déportés et assassinés à Auschwitz. Les deux fiches biographiques présentées sont celles de ces deux parcours différents, « les naufragés et les rescapés », dont nous empruntons le titre au dernier ouvrage de Primo Levi.
Isabelle Pelé